1993 Veritatis Splendor 114

Nos responsabilités de pasteurs

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C'est aux pasteurs qu'incombe, à un titre particulier, la responsabilité de la foi du Peuple de Dieu et de sa vie chrétienne, comme nous le rappelle le Concile Vatican II : " Parmi les charges principales des évêques, la prédication de l'Evangile est la première. Les évêques sont, en effet, les hérauts de la foi, qui amènent au Christ de nouveaux disciples ; et les docteurs authentiques, c'est-à-dire pourvus de l'autorité du Christ, qui prêchent, au peuple à eux confié, la foi qui doit régler sa pensée et sa conduite, faisant rayonner cette foi sous la lumière de l'Esprit Saint, dégageant du trésor de la Révélation le neuf et l'ancien
Mt 13,52, faisant fructifier la foi, attentifs à écarter toutes les erreurs qui menacent leur troupeau 2Tm 4,1-4 " (178).

(178) LG 25.


C'est notre devoir commun, et plus encore notre grâce commune, d'enseigner aux fidèles, en tant que pasteurs et évêques de l'Eglise, ce qui les conduit vers Dieu, comme le fit un jour le Seigneur Jésus avec le jeune homme de l'Evangile. Répondant à sa demande : " Que dois-je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? ", Jésus l'a renvoyé à Dieu, Seigneur de la création et de l'Alliance ; il lui a rappelé les commandements moraux, déjà contenus dans l'Ancien Testament ; il en a montré l'esprit et le caractère radical par l'invitation à marcher à sa suite dans la pauvreté, l'humilité et l'amour : " Viens et suis-moi ! " La vérité de cette doctrine a été scellée dans le sang du Christ sur la Croix : elle est devenue, dans l'Esprit Saint, la Loi nouvelle de l'Eglise et de tout chrétien.
Cette " réponse " à la question morale, le Christ Jésus nous la confie d'une manière particulière à nous pasteurs de l'Eglise, appelés à en faire la matière de notre enseignement, dans l'accomplissement de notre munus propheticum. En même temps, en ce qui concerne la morale chrétienne, notre responsabilité de pasteurs doit aussi s'exercer sous la forme du munus sacerdotale

c'est ce qui se réalise lorsque nous dispensons aux fidèles les

dons de la grâce et de la sanctification, qui leur permettent d'obéir à la sainte Loi de Dieu, et lorsque nous soutenons les croyants par notre prière constante et confiante afin qu'ils soient fidèles aux exigences de la foi et vivent selon l'Evangile Col 1,9-12. La doctrine morale chrétienne doit être, aujourd'hui surtout, un des domaines privilégiés dans notre vigilance pastorale, dans l'exercice de notre munus regale.

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En fait, c'est la première fois que le Magistère de l'Eglise fait un exposé d'une certaine ampleur sur les éléments fondamentaux de cette doctrine, et qu'il présente les raisons du discernement pastoral qu'il est nécessaire d'avoir dans des situations pratiques et des conditions culturelles complexes et parfois critiques.
À la lumière de la Révélation et de l'enseignement constant de l'Eglise, spécialement de celui du Concile Vatican II, j'ai rappelé brièvement les traits essentiels de la liberté, les valeurs fondamentales liées à la dignité de la personne et à la vérité de ses actes, de manière à ce que l'on puisse reconnaître, dans l'obéissance à la loi morale, une grâce et un signe de notre adoption dans le Fils unique
Ep 1,4-6. En particulier, la présente encyclique offre des évaluations en ce qui concerne certaines tendances contemporaines de la théologie morale. Je vous en fais part maintenant, obéissant à la parole du Seigneur qui a confié à Pierre la charge d'affermir ses frères Lc 22,32, pour éclairer et faciliter notre commun discernement.
Chacun de nous sait l'importance de la doctrine qui constitue l'essentiel de l'enseignement de la présente encyclique et qui est rappelée aujourd'hui avec l'autorité du Successeur de Pierre. Chacun de nous peut mesurer la gravité de ce qui est en cause, non seulement pour les individus, mais encore pour la société entière, avec la réaffirmation de l'universalité et de l'immutabilité des commandements moraux, et en particulier de ceux qui proscrivent toujours et sans exception les actes intrinsèquement mauvais.
En reconnaissant ces commandements, le coeur du chrétien et notre charité pastorale entendent l'appel de Celui qui " nous a aimés le premier " 1Jn 4,19. Dieu nous demande d'être saints comme lui-même est saint Lv 19,2, d'être, dans le Christ, parfaits comme lui-même est parfait Mt 5,48 : la fermeté exigeante du commandement se fonde sur l'amour miséricordieux et inépuisable de Dieu Lc 6,36, et le commandement a pour but de nous conduire, avec la grâce du Christ, sur le chemin de la plénitude de la vie propre aux fils de Dieu.

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En tant qu'évêques, nous avons le devoir d'être vigilants pour que la Parole de Dieu soit fidèlement enseignée. Mes Frères dans l'Episcopat, il entre dans notre ministère pastoral de veiller à la transmission fidèle de cet enseignement moral et de prendre les mesures qui conviennent pour que les fidèles soient préservés de toute doctrine ou de toute théorie qui lui sont contraires. Dans cette tâche, nous avons tous l'aide des théologiens. Cependant, les opinions théologiques ne constituent ni la règle ni la norme de notre enseignement, dont l'autorité découle, avec l'aide de l'Esprit Saint et dans la communion cum Petro et sub Petro, de notre fidélité à la foi catholique reçue des Apôtres. Comme évêques, nous avons le grave devoir de veiller personnellement à ce que la " saine doctrine "
1Tm 1,10 de la foi et de la morale soit enseignée dans nos diocèses.
Vis-à-vis des institutions catholiques, une responsabilité particulière s'impose aux évêques. Qu'il s'agisse d'organismes destinés à la pastorale familiale ou sociale, ou bien d'institutions vouées à l'enseignement ou à l'action sanitaire, les évêques peuvent ériger et reconnaître ces structures et leur déléguer des responsabilités ; toutefois, ils ne sont jamais dispensés de leurs obligations propres. C'est leur devoir, en communion avec le Saint-Siège, de reconnaître ou de retirer, dans des cas de graves incohérences, le qualificatif de " catholique " aux écoles (179), aux universités (180), aux cliniques ou aux services médico-sociaux qui se réclament de l'Eglise.

(179) Cf. CIC 803,3. (180) Cf. CIC 808.


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Dans le coeur du chrétien, au plus profond de tout être humain, se fait toujours entendre la question qu'adressa un jour à Jésus le jeune homme de l'Evangile : " Maître, que dois- je faire de bon pour obtenir la vie éternelle ? "
Mt 19,16. Mais c'est au " bon " Maître qu'il faut l'adresser, parce que lui seul peut répondre dans la plénitude de la vérité, en toutes circonstances, dans les situations les plus diverses. Et lorsque les chrétiens lui adressent cette question qui monte de leur conscience, le Seigneur répond par les paroles de l'Alliance Nouvelle confiées à son Eglise. Or, comme le dit l'Apôtre à son propre sujet, nous sommes envoyés " annoncer l'Evangile, et cela sans la sagesse du langage, pour que ne soit pas réduite à néant la Croix du Christ " 1Co 1,17. C'est pour cela que la réponse de l'Eglise à la question de l'homme possède la sagesse et la puissance du Christ crucifié, la Vérité qui se donne.
Quand les hommes présentent à l'Eglise les questions de leur conscience, quand à l'intérieur de l'Eglise les fidèles s'adressent à leurs évêques et à leurs pasteurs, c'est la voix de Jésus Christ, la voix de la vérité sur le bien et le mal qu'on entend dans la réponse de l'Eglise. Dans la parole prononcée par l'Eglise retentit, à l'intime de l'être, la voix de Dieu, qui " seul est le Bon " Mt 19,17, qui seul " est amour " 1Jn 4,8 1Jn 4,16.
Dans l'onction de l'Esprit, cette parole douce et exigeante se fait lumière et vie pour l'homme. C'est encore l'Apôtre Paul qui nous invite à la confiance, parce que " notre capacité vient de Dieu : c'est lui qui nous a rendus capables d'être les ministres d'une Alliance Nouvelle, une Alliance qui n'est pas celle de la lettre de la Loi, mais celle de l'Esprit Le Seigneur, c'est l'Esprit, et là où l'Esprit du Seigneur est présent, là est la liberté. Et nous tous qui, le visage découvert, réfléchissons comme en un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en cette même image, allant de gloire en gloire, par l'action du Seigneur qui est Esprit " 2Co 3,5-6 2Co 3,17-18.


CONCLUSION


Marie, Mère de Miséricorde

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Au terme de ces considérations, c'est à Marie, Mère de Dieu et Mère de Miséricorde, que nous confions nos personnes, les épreuves et les joies de notre existence, la vie morale des croyants et des hommes de bonne volonté, ainsi que les recherches des moralistes.
Marie est Mère de Miséricorde parce que Jésus Christ, son Fils, est envoyé par le Père pour être la révélation de la Miséricorde de Dieu
Jn 3,16-18. Il est venu non pour condamner, mais pour pardonner, pour faire usage de la miséricorde Mt 9,13. Et la plus grande miséricorde, c'est, pour lui, d'être au milieu de nous et de nous adresser son appel à venir à Lui et à Le reconnaître, en union avec Pierre, comme " le Fils du Dieu vivant " Mt 16,16. Il n'est aucun péché de l'homme qui puisse annuler la Miséricorde de Dieu, l'empêcher d'exercer toute sa puissance victorieuse aussitôt que nous y avons recours. Au contraire, la faute elle-même fait resplendir encore davantage l'amour du Père qui, pour racheter l'esclave, a sacrifié son Fils (181) : sa miséricorde envers nous, c'est la Rédemption. Cette miséricorde atteint sa plénitude par le don de l'Esprit, qui engendre la vie nouvelle et l'appelle. Si nombreux et si grands que soient les obstacles semés par la faiblesse et le péché de l'homme, l'Esprit, qui renouvelle la face de la terre Ps 104,30, rend possible le miracle du parfait accomplissement du bien. Un tel renouvellement, qui donne la capacité de faire ce qui est bon, noble, beau, agréable à Dieu et conforme à sa volonté, est en quelque sorte l'épanouissement du don de miséricorde, qui délivre de l'esclavage du mal et donne la force de ne plus pécher. Par le don de la vie nouvelle, Jésus nous rend participants de son amour et nous conduit au Père dans l'Esprit.

(181) " O inaestimabilis dilectio caritatis : ut servum redimeres, Filium tradidisti! " : Missale Romanum, In Resurrectione Domini, Praeconium paschale.


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Voilà la certitude réconfortante de la foi chrétienne, qui lui vaut d'être profondément humaine et d'une extraordinaire simplicité. Parfois, dans les discussions sur les problèmes nouveaux et complexes en matière morale, il peut sembler que la morale chrétienne soit en elle-même trop difficile, trop ardue à comprendre et presque impossible à mettre en pratique. C'est faux, car, pour l'exprimer avec la simplicité du langage évangélique, elle consiste à suivre le Christ, à s'abandonner à Lui, à se laisser transformer et renouveler par sa grâce et par sa miséricorde qui nous rejoignent dans la vie de communion de son Eglise. " Qui veut vivre - nous rappelle saint Augustin -, sait où vivre, sait sur quoi fonder sa vie. Qu'il approche, qu'il croie, qu'il se laisse incorporer pour être vivifié ! Qu'il ne craigne pas la compagnie de ses frères ! " (182). Avec la lumière de l'Esprit, tout homme, même le moins savant, et surtout celui qui sait garder un " coeur simple "
Ps 86,11, peut donc saisir la substance vitale de la morale chrétienne. D'autre part, cette simplicité évangélique ne dispense pas d'affronter la complexité du réel, mais elle peut amener à la comprendre avec plus de vérité, parce que marcher à la suite du Christ mettra progressivement en lumière les traits de l'authentique morale chrétienne et donnera en même temps le ressort vital pour la pratiquer. C'est le devoir du Magistère de l'Eglise de veiller à ce que le dynamisme de la réponse à l'appel du Christ se développe de manière organique, sans que soient falsifiées ou occultées les exigences morales, avec toutes leurs conséquences. Celui qui aime le Christ observe ses commandements Jn 14,15.

(182) In Iohannis Evangelium Tractatus, 26, 13 : CCL 36, 266.


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Marie est Mère de Miséricorde également parce que c'est à elle que Jésus confie son Eglise et l'humanité entière. Au pied de la Croix, lorsqu'elle accueille Jean comme son fils, lorsqu'elle demande, avec le Christ, le pardon du Père pour ceux qui ne savent pas ce qu'ils font
Lc 23,34, Marie, en parfaite docilité à l'Esprit, fait l'expérience de la richesse et de l'universalité de l'amour de Dieu, qui dilate son coeur et la rend capable d'embrasser le genre humain tout entier. Elle devient ainsi la Mère de tous et de chacun d'entre nous, Mère qui nous obtient la Miséricorde divine.
Marie est un signe lumineux et un exemple attirant de vie morale : " Sa vie seule est un enseignement pour tous ", écrit saint Ambroise (183) qui, s'adressant particulièrement aux vierges, mais dans une perspective ouverte à tous, déclare : " Le premier et ardent désir d'apprendre, la noblesse du maître vous le donne. Et qui est plus noble que la Mère de Dieu ? Qui est plus splendide que celle qui fut élue par la Splendeur elle- même ? " (184). Marie vit et met en oeuvre sa liberté en se donnant elle-même à Dieu et en accueillant en elle le don de Dieu. Elle garde en son sein virginal le Fils de Dieu fait homme jusqu'au moment de sa naissance, elle l'élève, elle le fait grandir et elle l'accompagne dans ce geste suprême de liberté qu'est le sacrifice total de sa vie. Par le don d'elle-même, Marie entre pleinement dans le dessein de Dieu qui se donne au monde. En accueillant et en méditant dans son coeur des événements qu'elle ne comprend pas toujours Lc 2,19, elle devient le modèle de tous ceux qui écoutent la parole de Dieu et la gardent Lc 11,28 et elle mérite le titre de " Trône de la Sagesse ". Cette Sagesse, c'est Jésus Christ lui-même, le Verbe éternel de Dieu, qui révèle et accomplit parfaitement la volonté du Père He 10,5-10. Marie invite tout homme à accueillir cette Sagesse. C'est à nous aussi qu'elle adresse l'ordre donné aux serviteurs, à Cana de Galilée, durant le repas de noces : " Faites tout ce qu'il vous dira " Jn 2,5.

(183) De Virginibus, II, 2, 15 : PL 16, 222. (184) Ibid. II, 2, 7 : PL 16, 220.


Marie partage notre condition humaine, mais dans une transparence totale à la grâce de Dieu. N'ayant pas connu le péché, elle est en mesure de compatir à toute faiblesse. Elle comprend l'homme pécheur et elle l'aime d'un amour maternel. Voilà pourquoi elle est du côté de la vérité et partage le fardeau de l'Eglise dans son rappel des exigences morales à tous et en tout temps. Pour la même raison, elle n'accepte pas que l'homme pécheur soit trompé par quiconque prétendrait l'aimer en justifiant son péché, car elle sait qu'ainsi le sacrifice du Christ, son Fils, serait rendu inutile. Aucun acquittement, fût-il prononcé par des doctrines philosophiques ou théologiques complaisantes, ne peut rendre l'homme véritablement heureux : seules la Croix et la gloire du Christ ressuscité peuvent pacifier sa conscience et sauver sa vie.

Ô Marie, Mère de Miséricorde, veille sur tous, afin que la Croix du Christ ne soit pas rendue vaine, que l'homme ne s'égare pas hors du sentier du bien, qu'il ne perde pas la conscience du péché, qu'il grandisse dans l'espérance en Dieu, " riche en miséricorde " Ep 2,4, qu'il accomplisse librement les oeuvres bonnes préparées d'avance par Dieu Ep 2,10 et qu'il soit ainsi, par toute sa vie, " à la louange de sa gloire " Ep 1,12.


Donné à Rome, près de Saint-Pierre, le 6 août 1993, fête de la Transfiguration du Seigneur, en la quinzième année de mon pontificat.
JEAN-PAUL II




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